Quand commence à courir la prescription en cas de défaut de délivrance et de jouissance paisible ?
Par un arrêt du 4 décembre 2025, la Cour de cassation a rappelé que les obligations continues du bailleur de délivrer au preneur la chose louée et de lui en assurer la jouissance paisible sont exigibles pendant toute la durée du bail, de sorte que la persistance du manquement du bailleur à celles-ci constitue un fait permettant au locataire d'exercer une action en exécution forcée de ses obligations par le bailleur.
Rappel des faits et de la procédure
Le bailleur a donné à bail commercial à la locataire, le 28 février 2012, des locaux à usage de « toutes activités industrielles liées à la fabrication de meubles à structures métalliques destinés aux collectivités et plus généralement les activités décrites dans son objet social », pour une durée de neuf années.
Par acte extrajudiciaire du 12 juin 2020, le locataire a assigné le bailleur pour obtenir sa condamnation à réaliser divers travaux de réparation rendus nécessaires par la vétusté et à l'indemniser de ses préjudices.
Le bailleur a soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription.
La décision de 1ère instance n’a pas fait droit à la demande de la locataire en précisant que sa demande était prescrite.
La décision de la Cour d’appel de Riom
Le locataire a interjeté appel devant le Cour d’appel de Riom.
La Cour d’appel rejette la demande du locataire en jugeant que le locataire connaissait parfaitement les locaux pour y avoir travaillé pendant plusieurs années, que l'état de vétusté initiale était connu et apparent et n'a pas empêché l'exploitation des activités du locataire ce qui établit le respect par le bailleurde son obligation de délivrance, seuls les enjeux en termes d'exploitation n'ayant pas été mesurés par la locataire, de sorte qu'ayant délivré son assignation au-delà du délai de cinq ans, celle-ci est prescrite en son action fondée sur l'article 1755 du Code civil.
Le locataire forme alors un pourvoi en cassation en avançant que que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que l'obligation de délivrance conforme du bailleur envers le preneur est une obligation continue, de sorte qu'elle ne peut commencer à prescrire tant que les lieux ne peuvent plus faire [l'objet] d'une utilisation normale par le preneur.
Quel est le point de départ du délai de prescription de l’action en exécution forcée en cas de défaut de délivrance et de jouissance paisible ?
La Cour de cassation donne raison au locataire en cassant l’arrêt de la Cour d’appel de Riom aux motifs que conformément à l’article 1709 du Code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et de lui en assurer la jouissance paisible pendant la durée du bail.
Il en résulte que le bailleur ne peut mettre à la charge du preneur les travaux rendus nécessaires par la vétusté que par une clause expresse et qu'il ne peut s'exonérer de l'obligation de procéder aux réparations rendues nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble.
En outre, la connaissance par le locataire de l’état de vétusté des locaux lors de la prise d’effet du bail n’est pas de nature à exonérer le bailleur de son obligation de délivrance qui est continue.
Ainsi, le locataire peut agir en exécution forcée en demandant au bailleur de réaliser les travaux et une indemnisation tant que le manquement persiste sans être soumis à la prescription quinquennale.
Cette solution s’inscrit naturellement dans le prolongement de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui considère qu’une clause d’acceptation des lieux en l’état n’exonère pas le bailleur de son obligation de délivrance (30 juin 2021, n° 17-26.348).
Références