La suspension du loyer par le locataire sans mise en demeure préalable

Par un arrêt du 18 septembre 2025, la Cour de cassation réaffirme le droit du locataire de suspendre le paiement de ses loyers dès lors que les locaux sont rendus impropres à leur destination par le manquement du bailleur et précise qu’une mise en demeure préalable n’est pas requise.

Rappel des faits et de la procédure

La bailleresse a, pour une durée de vingt-trois mois, à compter du 15 novembre 2011, donné à bail à la locataire un local à usage commercial.

L'article 12 dudit bail prévoit le versement par le preneur d'une « indemnité de pas de porte », fixée à la somme de 12 000 euros, en cas de conclusion d'un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux.

A l'issue du bail, la locataire est demeurée dans les lieux, sans signature d'un nouveau contrat ni versement de l'indemnité.

La bailleresse l'a assignée en constatation de la résiliation du bail, expulsion et condamnation au paiement de l'indemnité de 12 000 euros, formant à titre additionnel des demandes en prononcé de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et en paiement des loyers échus jusqu'au prononcé de la résiliation.

La locataire, qui a quitté les locaux en cours d'instance, a opposé une exception d'inexécution à la demande en paiement des loyers et formé, à titre reconventionnel, en cause d'appel une demande en paiement de dommages-intérêts pour manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance.

La Cour d’appel rejette la demande de dommages-intérêts de la locataire pour préjudice matériel lié aux infiltrations et condamne cette dernière à payer les loyers.

La locataire se pourvoit en cassation.

La mise en demeure préalable n’est pas nécessaire pour suspendre le paiement des loyers

La Cour de cassation donne raison à la locataire et censure l’arrêt de la Cour d’appel en rappelant que selon l’article 1719 du Code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée, d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

La Cour de cassation ajoute que le locataire peut se prévaloir d'une exception d'inexécution pour refuser, à compter du jour où les locaux sont, en raison du manquement du bailleur à ses obligations, impropres à l'usage auquel ils étaient destinés, d'exécuter son obligation de paiement des loyers sans être tenu de délivrer une mise en demeure préalable.

Ainsi, le locataire peut suspendre le paiement de ses loyers (c’est à dire opposer une exception d’inexécution) s’il ne peut plus du tout exploiter les lieux conformément à leur destination contractuelle, le bailleur contrevenant à son obligation de délivrance conforme, sans être obligé de mettre en demeure ce dernier.

Il est à noter que l’article 1219 du Code civil, qui a codifié l’exception d’inexécution, ne prévoit pas davantage de condition de mise en demeure préalable.


JurisprudencesBenjamin Vidal